Les diamants sont éternels, mais c’est moins le cas pour les monopoles. Nous sommes en 2000 et après près d’un siècle de règne sans partage, le numéro un du diamant, le groupe sud-africain De Beers, renonce à son monopole sur l’exploitation et le négoce de diamants à travers le monde. Jusque là, l’entreprise contrôlait l’essentiel des mines de diamants dans le monde et monopolisait la fourniture de diamants bruts à l’ensemble des diamantaires et à tous les ateliers de taille de diamant dans le monde. Grâce à cela, De Beers est parvenu pendant de longues décennies à maîtriser le marché, fixer les prix et éviter leurs fluctuations en les maintenant à un haut niveau. À son apogée, le géant sud-africain parviendra même à détenir plus de 85% des diamants dans le monde, grâce à la mise en place d’accords exclusifs avec ses fournisseurs.
De Beers n'est pas la seule entreprise qui a réussi à contrôler une grande partie de l'industrie dans laquelle elle opère. Les monopoles, les duopoles et toutes sortes d'autres -opoles existent encore aujourd'hui. Constituent-ils simplement un phénomène découlant de la réussite commerciale de certaines entreprises ? Ou le signe d'un système défaillant ? Regardons cela de plus près.
Commençons par définir ce qu'est un monopole. En bref, dans un monopole, il n'y a qu'un seul fournisseur et donc pas de concurrence. Cela signifie que la société ou l'entité qui vend quelque chose est la seule à vendre ce bien ou ce service particulier, et qu'il n'y a aucune possibilité de substituer ce bien ou ce service par quelque chose de similaire. Ainsi, si je suis le seul magasin au monde à vendre des tables d'une couleur jaune très spécifique, je ne suis peut-être pas un monopole, puisque les gens peuvent simplement acheter d'autres tables.
Cependant, il existe plusieurs types de monopoles.
Il existe certaines activités avec des coûts fixes d’investissement très élevés comme les réseaux électriques ou les chemins de fer. Dans ce cas, il arrive fréquemment qu’une seule entreprise puisse fournir l’ensemble du marché tout en restant plus compétitive que ses concurrents. Un bon exemple d’un monopole naturel serait par exemple la société exploitant le tunnel sous la Manche, la SNCF en France ou bien la Deutsche Bahn.
Dans certains cas, des lois ou des mesures réglementaires font qu’un État peut accorder des droits exclusifs à une entreprise privée ou publique pour exploiter un service public ou produire des biens et des services. Parmi les entreprises ayant un monopole légal, on peut citer par exemple les postes de nombreux pays. Mais il existe également de nombreuses entités ayant un monopole légal dans le domaine du sport. Les associations de sport américaine comme la NBA ou la NFL ou encore la FIFA dans le monde du foot sont de parfaits exemples de monopoles légaux.
Parfois, une entreprise innove tellement qu’elle crée de fait un marché et se retrouve seule dessus. C’est ce qu’on appelle le monopole d’innovation. Évidemment, cette situation ne peut pas durer éternellement puisqu’elle a tendance à attirer la concurrence. Pensez à Apple, lors de la sortie de l’iPhone en 2007. Si la firme californienne s’est retrouvée pendant un court temps en situation de quasi monopole sur le marché naissant des smartphones, de nombreuses autres entreprises n’ont pas tardé à la rejoindre et à la concurrencer.
Une situation de monopole local se produit lorsqu’une entreprise est en situation de monopole sur un secteur particulier. Une station service ou un supermarché dans une zone relativement isolée bénéficieront par exemple d’un monopole local.
Parfois, il peut arriver qu’une entreprise occupe une part prépondérante d’un marché, mais doit le partager avec un nombre réduit de concurrents. On est dans ce cas dans une situation proche du monopole. Et là encore, il existe plusieurs types de situations proches du monopole.
Il s’agit d’un marché où il n’existe que quelques offreurs alors que le nombre d’acheteurs est important. Par exemple, le secteur de la pharmaceutique, de la téléphonie mobile ou de l'aéronautique sont des oligopoles. Il existe également un cas particulier d’oligopole : le duopole. Dans ce cas, on a deux offreurs pour une multitude d’acheteurs. C’est par exemple le cas de la publicité en ligne pour laquelle Meta et Alphabet (Facebook et Google) occupent à eux deux près de deux tiers du marché, ne laissant que des miettes à la concurrence.
Un cartel est en quelque sorte un mélange entre un oligopole et un monopole. Il n’existe que quelques entreprises sur le marché mais comme elles s’entendent, elles agissent comme si elles étaient en situation de monopole et fixent les prix à leur guise. L’OPEP, l’organisation regroupant les pays producteurs de pétrole est un exemple parfait de cartels dans lequel de nombreux producteurs d’un même produit se regroupent pour en fixer le prix.
Quand vous êtes concurrencé sur votre marché, rentrer dans une guerre des prix n’est pas toujours la meilleure idée. Il est parfois plus sage de son produit qui, s’il est unique, créera une sorte de monopole pour le producteur. On peut donner l’exemple de Coca-Cola et Pepsi : bien-sûr ces deux là se concurrencent. Mais pour certains acheteurs, c’est comme s’il n’existait que Coca ou Pepsi.
Alors, à quoi sert tout ce vocabulaire ? A discuter, parce que les monopoles soulèvent souvent des tensions. Si une entreprise est la seule à offrir un produit, elle pourra le vendre à n’importe quel prix : ceux qui en ont vraiment besoin devront bien lui acheter. Et si le produit en question est un médicament ou l’accès à l’eau, cela peut poser de nombreux problèmes… Par ailleurs, une entreprise qui n’a pas de concurrent pourra se permettre de proposer des produits de moins bonne qualité et innovera moins.
Pour que les entreprises n’abusent trop de leur pouvoir de négociation et continuent à proposer des biens et services de qualité, des règles existent pour limiter leur puissance.
Pour cela, les États s’appuient sur un ensemble de lois antitrust. Il s’agit d’un ensemble de textes qui encouragent la concurrence en limitant le pouvoir de marché de toute entreprise particulière. Cela implique souvent de s'assurer que les fusions et acquisitions ne concentrent pas trop le pouvoir du marché ou ne forment pas de monopoles, ainsi que de démanteler les entreprises qui sont devenues des monopoles.
Aux États-Unis les régulateurs observent avec de plus en plus d’attention le pouvoir grandissant des plus grandes entreprises du secteur technologique et tout particulièrement celui des GAFAM. Le rachat de MGM par Amazon pour un montant de 8,45 milliards de dollars annoncé l’année dernière demeure en suspens tandis que la FTC (Federal Trade Commission) continue de le scruter pour des questions d'antitrust.
L'accord a soulevé des problèmes antitrust en raison de la vaste bibliothèque de contenu détenue par MGM - comprenant non seulement la franchise de films James Bond mais aussi Rocky et La Panthère rose, ainsi que quelque 17 000 émissions de télévision. Les opposants à l'accord font remarquer qu'une bibliothèque Amazon Prime Video de plus de 55 000 titres surpasserait par exemple de loin celui de Netflix, qui compte près de 20 000 titres et accorderait donc trop de pouvoir au géant du commerce en ligne dans le domaine de la création de contenus.
Il en va de même pour le rachat du studio de jeux vidéo Activision par Microsoft pour un montant record de 68,7 milliards de dollars. Ce dernier a attiré l'œil de la FTC qui examine si le deal est bien conforme au droit de la concurrence.
En Europe aussi, les législateurs forcent le ton contre les GAFAM qui ont selon eux trop de pouvoir, notamment dans le domaine du traitement des données personnelles. Le gendarme de la concurrence italien a infligé en novembre dernier une amende de 20 millions d’euros à Google et Apple, équitablement répartie entre les deux sociétés, pour des pratiques commerciales non correctes. L’Antitrust italien “a établi que les deux sociétés ont chacune violé deux fois le Code de la consommation, la première en ne fournissant pas suffisamment d’informations (à ses clients), la seconde pour pratiques agressives dans l’utilisation des données des consommateurs à des fins commerciales”, indique un communiqué.
Si les monopoles ont quasiment toujours été une part de l’économie capitaliste, leur bien-fondé a toujours été contesté. Trop puissants, pas assez soucieux du bien des consommateurs, les monopoles ne plaisent généralement pas et sont combattus par les législateurs quand ceux-ci considèrent qu’ils ne respectent plus les règles du jeu.
Toutefois, on assiste depuis quelques années à une nouvelle formes d’entreprises quasi-monopolistiques avec l’émergence des GAFAM dans l’économie globales. Les différents législateurs seront-ils assez forts pour gagner le bras de fer qui les oppose aux entreprises de la Big Tech, ou celles-ci seront-elles capables d’imposer leur volonté ? Les prochaines années seront décisives pour répondre à cette question.